Source : l’1visible n° 71 juin 2016
La Bible et le Coran sont des livres religieux qui guident la vie de milliards de personnes dans le monde. Ils comportent certains points communs. Sont-ils « la » parole de Dieu ?
Débat entre Lili Sans-Gêne et le Père Thierry de Lesquen
Lili Sans-Gêne : Il y a beaucoup de ressemblances entre les juifs, les chrétiens et les musulmans. Tous les trois croient qu’il y a un seul Dieu qui leur a envoyé un livre. Au fond tout cela est un peu pareil !
Père Thierry de Lesquen : L’idée selon laquelle Dieu aurait envoyé un livre aux juifs, aux chrétiens puis, finalement, aux musulmans (un livre qui serait en réalité le même livre divin à chaque fois) est en fait une idée exclusivement musulmane. Contrairement aux musulmans, les juifs et les chrétiens ne croient pas que Dieu leur ait envoyé le moindre livre. La raison en est très simple : nous, chrétiens, croyons en un Dieu qui aime tellement les hommes qu’il ne se contente pas de leur envoyer un message. Il veut se révéler lui-même, personnellement, nous dire qui il est et même nous inviter dans son intimité divine. Contrairement aux musulmans, nous ne croyons donc pas que la Parole de Dieu lui soit extérieure en quoi que ce soit. Elle est elle-même proprement divine. Dès lors, il est logique que, pour les chrétiens, aucun mot d’homme ne suffise jamais à dire tout à fait cette Parole de Dieu, et ceci, quelle que soit la langue utilisée.
Lili Sans-Gêne : Pourtant, il y a bien la Torah et l’Évangile les deux livres saints des juifs et des chrétiens ?
Père Thierry de Lesquen : Il y a effectivement un livre saint pour les juifs et les chrétiens qui s’appelle la Bible et qui comporte différentes parties (appelées des livres). L’ensemble des 5 premiers livres est appelé Torah par les juifs (ce qui signifie la Loi). Mais il y a encore beaucoup d’autres livres de genres différents dans la Bible. Tous sont le fruit de l’histoire du peuple juif sur une période de presque 2000 ans qui commence avec Abraham (il y a 4 000 ans environ). L’ensemble de tous ces livres correspond à la Parole de Dieu parce qu’ils sont autant de témoignages de la manière dont les juifs ont reconnu la présence de Dieu à leur côté tout au long de leur histoire. Les chrétiens reconnaissent la valeur de la Bible juive à laquelle ils ont ajouté une partie, appelée le Nouveau Testament. On y trouve les quatre Évangiles – quatre versions de l’histoire de Jésus – mais aussi beaucoup de lettres des premiers grands témoins de la foi chrétienne (dont beaucoup sont de saint Paul).
Lili Sans-Gêne : Je ne comprends pas bien : vous dites que la Bible est un livre humain, historique… et en même temps qu’elle est la Parole de Dieu. Ce n’est pas clair !
Père Thierry de Lesquen : C’est là la grande subtilité de la Bible. Elle est à la fois un livre écrit par des hommes et un livre à travers lequel Dieu parle réellement aux hommes. Tous les récits de la Bible proviennent de l’expérience que des hommes ont faite de la présence amoureuse de Dieu auprès d’eux. Chacun des textes de la Bible est donc un témoignage de la manière dont Dieu accompagne l’humanité dans un contexte particulier. La Bible est comme une succession de paroles d’hommes qui ont écrit inspirés par Dieu, c’est-à-dire en union avec lui. Ils sont donc à la fois réellement auteurs de ce qu’ils ont écrit et messagers de quelque chose qui les dépasse infiniment.
Lili Sans-Gêne : Mais alors, si la Bible juive est reconnue par les chrétiens comment se fait-il qu’ils n’appliquent pas les lois qui y sont inscrites ?
Père Thierry de Lesquen : Encore une fois, la Bible n’est pas une parole éternelle tombée du ciel. Elle est la Parole de Dieu, oui, mais liée à l’histoire du peuple juif. C’est pourquoi on peut trouver une évolution au sein même de la Bible. On y voit comment Dieu cherche à éduquer l’homme pour le faire progresser et lui rendre sa dignité perdue. Il le fait un peu comme on éduque un enfant en lui donnant des règles, en le laissant apprendre par ses erreurs, en le relevant, et en lui pardonnant. Voilà pourquoi certaines règles sont données aux juifs pour un temps seulement. Pour prendre une comparaison, il peut être bon d’interdire à un enfant de sortir seul de la maison tant qu’il est un enfant. Mais un jour, cette même règle n’aura plus de sens. Ainsi en va-t-il par exemple des interdits alimentaires de la loi juive (avec en particulier l’interdit du porc). Ils ont une forte valeur symbolique et une utilité pédagogique réelle. Mais ils pourront disparaître dans le christianisme – qui est en quelque sorte l’âge adulte de la foi – lorsque Dieu sera devenu suffisamment proche pour que sa loi ne nous soit plus extérieure mais intérieure !
Lili Sans-Gêne : Pourtant, on retrouve les mêmes personnages dans la Bible et le Coran. C’est bien la preuve que ce sont les mêmes livres à l’origine et que le temps a simplement introduit des erreurs dans la Bible, le plus ancien des deux !
Père Thierry de Lesquen : Il ne fait aucun doute qu’il y a dans le Coran des emprunts faits aux traditions juive et chrétienne. Mais cela ne suffit certainement pas à dire que c’est le même livre qui est à l’origine de la Bible et du Coran. Il suffit d’ailleurs de lire les deux pour se rendre compte qu’ils n’ont vraiment pas beaucoup de points communs ! On peut également assez facilement montrer que plusieurs des quelques références du Coran à Jésus (appelé Isa dans le Coran) semblent bien provenir de ce que l’on appelle des Évangiles apocryphes (par exemple, le bébé Isa qui parle dans son berceau en 19, 29-30). La critique historique nous prouve que ces textes apocryphes sont plus tardifs que les quatre Évangiles de la Bible. Et il n’est pas difficile de montrer que les merveilleuses mises en scène du bébé Jésus faisant des miracles proviennent de dévotions populaires sûrement très mignonnes, mais bien peu compatibles avec le cœur de la foi chrétienne : nous croyons en un Dieu qui s’est réellement fait homme, capable de nous rejoindre chacun. Il ne s’est pas fait « surhomme » !
Lili Sans-Gêne : Mais pourquoi est-ce que la révélation s’arrêterait si la Bible est une succession de récits inspirés ? Au fond, a priori, ce sont les derniers qui sont les plus riches. Donc, les musulmans ont raison de croire que le Coran a plus de valeur que la Bible !
Père Thierry de Lesquen : Toutes les expériences de rencontre de Dieu qui ont été mises par écrit dans la Bible ont trouvé leur point culminant en Jésus. Ceux qui l’ont connu ont fait l’expérience qu’il n’était pas seulement un prophète – quelqu’un d’étonnamment inspiré par Dieu – mais beaucoup plus encore. La foi chrétienne est cette folie que seul un amour infini peut expliquer : Jésus est non seulement un homme mais il est aussi Dieu ! Dieu se soucie tellement de nous qu’il fait cette folie de venir au cœur même de notre humanité. Sans expliquer ici comment Dieu peut effectivement se faire homme sur la terre tout en restant le Dieu du ciel, on peut au moins souligner que c’est très cohérent avec toute la Bible : avant la venue de Jésus, dans chaque parole biblique, c’était bien déjà Dieu lui-même qui cherchait à se révéler aux hommes, à s’approcher d’eux. Nous avons donc en Jésus le sommet indépassable de la révélation. Avec Jésus, Dieu lui-même vient, en Personne : « le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous » (Jn 1, 14). Avec lui, nous pouvons non seulement écouter Dieu mais aussi le contempler. C’est là un mystère que l’on pourra creuser sans fin, sans jamais prétendre en avoir fait le tour, en particulier grâce aux Évangiles, ces quatre témoignages différents de rencontres de Jésus. Il n’y a donc évidemment plus besoin pour Dieu d’envoyer de prophète. Tout est dit en Jésus. D’ailleurs, si Dieu n’était pas venu, aucune prophétie n’aurait jamais suffi à dire qui est Dieu. Voilà pourquoi ni l’idée d’une « révélation coranique » ni celle d’aucune autre « révélation » postérieure à Jésus ne pourra jamais avoir de sens pour nous chrétiens.
Bio auteur :
Le père Thierry de Lesquen est prêtre du diocèse de Paris. Il désire aider les hommes et les femmes de bonne volonté à réfléchir sur les questions liées à la foi chrétienne, l’éducation, l’islam et le christianisme, etc.