Quand l’Évangile de la TOUSSAINT nous interroge
Des catéchistes s’interrogent.
Le lundi 14 octobre 2019, j’étais en réunion avec des enseignants et éducateurs au collège Saint Joseph à Ernée. Nous préparions une grande soirée de catéchèse pour des élèves de 6ème : chants, découverte de l’évangile des Béatitudes (Mt 5,1-12a), réflexion, atelier icônes, prière. Et assez vite, nous les adultes, nous avons vu que l’évangile nous posait question, surtout avec la 3ème béatitude : « Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. » Comment cette parole de Jésus peut-elle prendre sens dans notre vie, à nous les adultes, quand elle se trouve perturbée, meurtrie, blessée ? Comment cette parole peut-elle être comprise par des collégiens quand ils connaissent des situations très douloureuses (maladie, famille désunie, deuil, difficultés personnelles) ? Non, Dieu ne se complaît pas à voir souffrir. Oui, la souffrance est à bannir. Alors, comment est-ce possible d’associer dans une même phrase le BONHEUR et les PLEURS ?
Jadis, une mauvaise compréhension de la foi chrétienne a pu laisser entendre que si l’on souffrait, malgré tout c’était bien car au moins on était uni à Jésus-Christ dans sa Passion et on trouverait au ciel la consolation. Ce qui faisait dire à un chrétien de l’une de mes paroisses précédentes : « La souffrance est rédemptrice. » Ce à quoi je réponds oui, ‘mais’. Car il y a un ‘mais’. Ce type de déclaration a, j’en suis convaincu, découragé plus d’un chrétien, adulte ou jeune. Se trouver soi-même confronté à la souffrance et dans un acte de foi permanent la vivre avec le Christ, cela prend du sens. Oui, vraiment. Mais, on ne peut pas dire qu’en soi la souffrance est bonne. Elle n’a pas son origine en Dieu et elle est un mal à combattre. Il n’empêche que Jésus déclare : « Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. » Alors, quel est sens de la 2ème Béatitude ?
Attention à nos formules toutes faites.
Je suis très sensible aux mots que l’Église emploie. Un vocabulaire usité depuis longtemps risque parfois de ne plus ‘faire sens’ dans une culture qui a changé. Parmi les expressions reçues par tradition nous trouvons par exemple : « Il a plu à Dieu de rappeler à lui… ». Dans l’esprit de nos contemporains, je pense que ces mots-là ont fait plus de dégâts que de bien. Disons-le clairement, Dieu ne suscite jamais la mort de quelqu’un. Le jour de la sépulture d’une enfant de 7 ans, j’avais dit : « Que Dieu voulait-il pour elle ? Sinon, qu’elle vive heureuse dans sa famille ? ». Et donc, j’en suis convaincu, si nous l’appelons notre Père, c’est parce qu’il l’est vraiment. Comme un papa, comme une maman, il veut le bonheur de ses enfants. Et, il souffre de voir ses enfants souffrir.
Nos conversations bien humaines véhiculent parfois elles aussi des formules inadéquates, du genre : « Sa vie était tracée ainsi… ». Quand quelqu’un décède jeune, comment pourrait-on convenir que c’était la fatalité ? Y aura-t-il parmi les humains, certains qui seraient des victimes de l’obsolescence programmée comme nos appareils d’électroménagers ? Eh bien non. La maladie n’est pas une fatalité. L’accident n’est pas une fatalité. La détresse humaine n’est pas une fatalité. Ceux qui ont vu récemment le film « Au nom de la terre » ont pu admirer cette famille unie dans les joies et unie dans le désarroi. Et bien non, Dieu ne veut en aucun cas et pour personne une telle épreuve, un pareil drame. Il n’empêche que Jésus déclare : « Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. » Alors, quel est sens de la 2ème Béatitude ?
« Heureux les affligés, car ils seront consolés »
Voici deux paragraphes de l’exhortation apostolique ‘Gaudete et Exultate’ du pape François :
75. Le monde nous propose le contraire : le divertissement, la jouissance, le loisir, la diversion, et il nous dit que c’est cela qui fait la bonne vie. Le monde ne veut pas pleurer : il préfère ignorer les situations douloureuses, les dissimuler, les cacher.
76. La personne qui voit les choses comme elles sont réellement se laisse transpercer par la douleur et pleure dans son cœur. Cette personne est consolée, mais par le réconfort de Jésus et non par celui du monde. Elle peut ainsi avoir le courage de partager la souffrance des autres et elle cesse de fuir les situations douloureuses. De cette manière, elle trouve que la vie a un sens, en aidant l’autre dans sa souffrance, en comprenant les angoisses des autres, en soulageant les autres. Savoir pleurer avec les autres, c’est cela la sainteté !
Père Jean-Marie VERON