Lucie Lanoie : « Tu as du prix à mes yeux et je t’aime ».
Le fabuleux destin de Lucie par Jacques Gauthier, auteur et théologien canadien, 27/12/2013.
La vie est un mystère qui nous échappe, mais l’amour permet de l’accueillir jusqu’au bout, de la naissance à la mort. Daniel et Lise Lanoie en témoignent dans un article de la revue de l’Église de Saint-Hyacinthe, L’Envoi, (novembre-décembre 2013, p. 8-9).
Daniel et Lise ont déjà deux enfants lorsque naît Lucie le 24 janvier 1979. On l’hospitalise à l’âge de trois mois et on lui découvre de nombreux handicaps : microcéphalie, scoliose, surdité partielle, déficience intellectuelle profonde. Les parents se retrouvent autour d’une table multidisciplinaire avec un neurologue, un psychologue, des médecins, une travailleuse sociale, pour se faire dire que leur fille a une espérance de vie d’une dizaine d’années. L’équipe tente de les convaincre de la placer en institution, car elle va nécessiter beaucoup de soins et qu’il est très difficile pour un couple de traverser cette épreuve. Leur décision est sans équivoque.
« Nous choisissons de faire confiance à la vie et l’amour que nous avons entre nous est suffisamment grand pour en prendre soin. Lucie est notre enfant, nous ferons tout notre possible pour lui faciliter la vie, pour que ce soit agréable avec son frère et sa sœur qui lui démontrent un amour inconditionnel. Notre défi les premières années fut l’intégration à tous les niveaux : faire accepter notre choix à nos familles, trouver des ressources, l’intégration à l’école René-St-Pierre, avec pour objectif de développer son potentiel et de lui permettre de se socialiser ».
Lucie ne mange pas et ne boit pas seule. Elle est incontinente, ne marche pas et ne parle pas, aime regarder les émissions pour enfants à la télévision. Elle rit et exprime sa joie en faisant bouger ses bras, elle fait aussi des sons. Elle va tout de même fréquenter l’école jusqu’à l’âge de 21 ans.
En 1998, son frère David, qui a 24 ans, est intoxiqué en manipulant un produit chimique. Sa moelle osseuse est subitement détruite. Le seul traitement possible est une greffe entre fratries et des transfusions pour le garder en vie. David propose sa sœur aînée qui se révèle incompatible. Il y a Lucie, 21 ans, mais c’est plus compliqué, compte tenu de ses handicaps. Après trois jours d’attente interminable, la famille passe du découragement à l’espérance quand elle apprend que Lucie est compatible 6/6.
Le miracle de la vie
La vie est plus forte que tout et elle jaillit au moment où l’on ne s’y attend pas et de la manière que nous n’y pensons pas. Il y a quelque chose de divin dans cet élan de vie. Je pense que chaque personne a une mission en naissant ; c’est en vivant qu’on la découvre. Pour Lucie, ce fut de donner la vie à son frère, d’être féconde à sa manière, par ce qu’elle est, une femme unique et différente. Je laisse la parole à ses parents pour qui leur fille est « notre chère Lucie ».
« Lucie donne vie à son frère par le don de sa moelle osseuse et, par le fait même, définit son rôle de femme de donner la vie. De façon différente, certes, mais elle a sauvé la vie de son frère. David est complètement guéri. Aujourd’hui il est père de deux petites filles de cinq et trois ans, et ce, malgré le pronostic négatif à cause des traitements de chimio ».
Lucie est décédée doucement le 14 novembre 2005 à l’Hôtel Dieu de Saint-Hyacinthe en soins palliatifs. Elle avait presque 27 ans. Elle était rendue au bout de sa vie, usée comme une personne très âgée. Elle s’est éteinte comme une bougie, en présence de ses parents, comme au jour de sa naissance. Ils ont écrit: « On ne pouvait souhaiter plus belle fin ».
« Le sens de la vie de Lucie fut entre autres de nous permettre de nous entraider comme couple, de nous décentrer de nous-mêmes. Sa présence a également permis à beaucoup d’intervenants de réagir, de réfléchir, de se dépasser. Son cas a suscité beaucoup de questionnements ».
« Lucie a donné la vie à son frère, elle s’est accomplie, à son niveau, comme être humain. Surtout, elle nous a permis de prendre conscience de la valeur d’une vie, de la vie ».
Cette parole prophétique figurait sur le faire-part de son décès: « Tu as du prix à mes yeux et je t’aime » (Isaïe 43, 4).
Source : jacquesgauthier.com