Un étrange silence s’est abattu sur notre pays. La guerre contre l’ennemi invisible, le Covid-19, a vidé les rues et les places, les écoles et les jardins. En ce temps du carême, c’est comme une retraite collective qui s’impose soudainement à toute notre société, interrompant d’un coup en elle les rythmes accélérés du travail et des activités les plus quotidiennes.
Qu’allons-nous faire de ce silence ?
Ce silence résonne comme un appel à la prière. Car ils sollicitent notre prière ces hommes et ces femmes sidérés devant la maladie, ces personnes vulnérables esseulées et privées des visites de leurs proches. Elles appellent notre prière ces familles en deuil que les conditions restrictives de célébration à ce jour n’aident pas à porter la peine et ouvrir à l’espérance, et ces communautés d’Église sans assemblées. Ils engagent notre prière, les responsables politiques et sociaux et les soignants, totalement impliqués et débordés, les voisins de la solidarité, ces mères et pères de familles en charge imprévue d’enseignement, et tant de gens dont l’appel à la responsabilité face au fléau bouleverse la vie.
Et l’on se dit que c’est ici Jésus dans sa passion qui vient se faire proche de nous et nous implore, comme il l’a fait auprès de Pierre et ses compagnons au moment de l’agonie : « Mon âme est triste à en mourir. Restez ici et veillez avec moi. » (Mt 26,38). Car la prière manifeste l’extraordinaire puissance du lien de communion des hommes en Dieu, capable de dépasser toute entrave à la relation et de donner l’énergie du salut.
Ce silence, c’est aussi celui de la méditation. Il nous convie à prendre le temps de revenir à la Parole de Dieu. En ces jours de marche vers Pâques, nous sommes invités à contempler les Écritures, particulièrement celles qui nous sont données chaque jour par l’Église dans la messe, pour mieux discerner l’essentiel de nos existences. Allons à la source de la Révélation. Relisons avec elle nos vies pour nous convertir et progresser sur le chemin du Christ. Redisons avec Pierre quand beaucoup étaient tentés de ne plus suivre Jésus : « Seigneur, à qui irions-nous, Tu as les paroles de la vie éternelle ? » Jn 6,68.
Ce silence, c’est encore celui d’une lenteur retrouvée. Délivrés pour beaucoup d’entre nous de la pression de nos occupations multiples, maintenant que le temps nous dure et qu’il ne sert à rien de nous précipiter, nous voici rappelés à la lenteur. Prendre alors le temps de bien faire les choses les plus quotidiennes, en rendant plus supportable l’ennui parce que l’on met un peu de solennité dans les petits actes1, comme s’ils nous étaient devenus plus précieux parce qu’habités d’un peu plus d’amour. « Ainsi votre conduite sera digne du Seigneur et capable de lui plaire en toutes choses » (Col 1,10).
Ce silence, c’est enfin celui de la vie devant la mort. « Consoler, c’est consentir à notre impuissance et en faire l’occasion d’une présence » écrit joliment le philosophe Martin Steffens2. Quand vient la mort de celui qui nous est proche, et qu’il n’y a plus rien à lutter contre elle, ne demeure que la parole de consolation qui se dit essentiellement dans la qualité d’une présence. Notre monde ressent, comme il ne l’a plus fait depuis longtemps, la menace de la mort et d’une fin possible. Le désespoir peut le saisir. Pour les chrétiens cependant, la vision de la mort ne conduit pas à la désespérance, mais, au contraire, à l’urgence de donner sa vie par amour dans l’espérance de la Résurrection. « Nous, nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie parce que nous aimons nos frères » (1 Jn 3,14).
Frères et sœurs dans le Christ, en cette heure grave, tenons bon dans la foi, l’espérance et la charité !
+ Laurent Le Boulc’h
Evêque de Coutances et d’Avranches
[1] Mona Ozouf « Pour rendre la vie plus légère » Stock 2020 p. 17
[2] Martin Steffens « Et si c’était la fin du monde » Bayard 2020 p. 195