de Denis Gagnon, Dominicain
Il était assis posément devant moi. Encore jeune malgré la trentaine forte. La vie lui souriait depuis plusieurs années : une bonne copine, un bon emploi, de bonnes relations… Beaucoup de bonnes choses lui assuraient un bonheur tranquille.
La question surgit doucement pendant que nous butinions d’un sujet de conversation à l’autre : « Avons-nous encore besoin de Dieu ? » Dans cette question, deux mots attirent mon attention : « encore » et « besoin ».
« Encore » laisse entendre que nos ancêtres croyaient par besoin. Il est vrai que nos parents et grands-parents nageaient dans la foi comme des poissons dans l’eau. Ils mordaient dans le petit catéchisme comme d’autres dans un Big Mac ! Ils priaient matin et soir, ne manquaient la messe dominicale que très rarement. Leur charité chrétienne contenait un gros minimum de respect des autres et de la politesse, un goût prononcé pour l’entraide fraternelle et la solidarité villageoise.
Accomplissaient-ils leurs démarches religieuses par besoin ? Certains, sans aucun doute. Ceux-là avaient peur de la mort ou peur d’une image de Dieu autoritaire et menaçante. La religion leur servait alors de paratonnerre. Beaucoup d’autres avaient des convictions plus sereines. Certains s’arrangeaient avec le « bon Dieu » qu’ils savaient très compréhensif et miséricordieux.
Les temps ont changé. Aujourd’hui, nous vivons dans une très grande diversité de cheminements, depuis la foi fervente jusqu’à son absence totale. Il y a encore des gens qui ont peur et d’autres qui sont en paix.
Je suis convaincu cependant que, quelles que soient les époques, le rapport à Dieu doit dépasser le niveau du besoin. Dieu n’est pas une patte de lapin ou un talisman contre les dangers. Il n’est pas un substitut à nos incapacités. Au jour d’orage, je peux me tourner vers lui. Mais je ne peux lui demander d’agir à ma place. Il peut m’arriver d’évoquer mes inquiétudes dans la prière. Mais je ne veux pas le faire pour me décharger sur Dieu des responsabilités qui m’incombent.
Progressivement dans ma vie, Dieu doit changer de statut : de besoin, Dieu doit devenir un désir. Et désir de Dieu pour lui-même. Comme les grandes amours de nos vies, comme nos vraies amitiés. Entre nous, nos amours s’épanouissent quand elles se transfigurent en gratuité. Normalement, du moins. Avec le temps, nous aimons les autres pour eux-mêmes et non parce qu’ils nous sont utiles.
Ainsi en est-il de Dieu : il doit devenir de moins en moins une « utilité » courante. La relation la plus profonde qu’un croyant peut vivre avec Dieu est de l’ordre de la gratuité. Mais cet « état de grâce » est-il possible pour le commun des mortels? Comment y arriver ? Dieu n’est accessible que s’il vient lui-même à nous. Dieu ne s’accueille que parce qu’il nous accueille lui-même. Autant la terre et sa mise en œuvre nous appartient, autant la rencontre de Dieu relève de lui. Autant nous sommes appelés à maîtriser notre monde, autant il faut lâcher prise devant Dieu et nous abandonner à lui…